Pourquoi les standards tiennent… jusqu’à la première urgence
Si tes standards ne tiennent pas sous pression, ce n’est pas un problème de standards.
Je sais, cette phrase fait souvent faire grincer des dents…
C’est parce qu’elle vient heurter une croyance très ancrée dans les organisations : celle selon laquelle un bon standard devrait tenir, quoi qu’il arrive, même quand ça déborde et qu’on n’a « pas le temps”.
Sur le papier, c’est séduisant, sauf que dans la vraie vie opérationnelle, c’est une illusion.
En réalité, sur le terrain, la scène est presque toujours la même : les standards existent, ils sont documentés, ils ont été expliqués, et pendant un temps, ça fonctionne.
Et puis TADAAAAA, l’urgence arrive.
Je ne te parle même pas d’une urgence exceptionnelle, juste une vraie urgence du quotidien : un aléa de production, une absence inopinée, une non-conformité…
Et là, sans que personne ne décide consciemment de “ne plus respecter les standards”, quelque chose dérape, les gestes prennent des raccourcis, on fait au plus vite, au plus simple, et le standard passe au second plan.
Ce n’est ni une question de manque de professionnalisme ou de désengagement. C’est simplement que le système vient de basculer dans un autre mode de fonctionnement.
Autrement dit, le problème n’apparaît pas le jour où ça déraille… il était déjà là bien avant. Parce que tant que ça roule… on confond souvent “ça fonctionne” avec “c’est maîtrisé”.
Et si je te disais que le standard ne “tient” pas… il profite juste du calme ambiant ?
Allez, je t’explique tout ça en profondeur…
1 - Quand tout va bien, tout le monde est d’accord
A. Sur le papier, tout fonctionne
Quand tout va bien, il n’y a généralement aucun débat. Les standards sont là, ils paraissent logiques, applicables, tout le monde est d’accord pour dire que “le cadre est clair” et que les équipes savent quoi faire.
Ce contexte donne aux managers le sentiment que le pilotage est sous contrôle.
Or c’est précisément là que se niche la première illusion. Parce que ce qu’on observe à ce moment-là, ce n’est pas la solidité du système.
C’est simplement que le système n’a pas encore été mis à l’épreuve.
Tant que les flux sont relativement stables, tant que les imprévus restent absorbables, les standards donnent l’impression de tenir… presque naturellement.
Mais ce n’est pas parce qu’un standard est respecté dans le confort qu’il est réellement robuste.
Il a encore besoin d’être confronté à la réalité complète du terrain.
B. Dans la vraie vie, l’urgence n’est jamais loin
Le problème, c’est que la vie opérationnelle n’est jamais linéaire très longtemps.
Il suffit parfois de peu (une absence imprévue, un équipement qui lâche, un fournisseur en retard, une demande client qui change en cours de route…) et c’est là que l’équilibre commence à vaciller.
Rien de spectaculaire, ça se fait par petites touches :
On décale une étape
On saute un contrôle “juste cette fois”
On adapte le geste, on simplifie
On se dit que c’est pas grave, c’est temporaire… sauf que ce moment-là est crucial.
Parce qu’en réalité ce ce qui se joue ici, c’est un changement de logique : le système ne cherche plus à faire “comme prévu”, il cherche à absorber la pression.
Et dans ce mode-là, le standard devient une variable d’ajustement.
C. Le jour où ça déraille n’est jamais le vrai problème
C’est souvent le jour où “ça déraille” que l’alerte est donnée, et très vite, on cherche une cause immédiate (un non-respect de procédure, un manque de vigilance, une erreur humaine, un défaut de management…).
Mais ce jour-là n’est presque jamais le point de départ. En réalité c’est le révélateur.
Ce jour J met simplement en lumière quelque chose qui existait déjà, mais qui était « compensé ».
Compensé par l’engagement des équipes, par l’expérience des managers, par une multitude d’efforts invisibles.
Le hic c’est que tant que ces compensations suffisent, tout semble fonctionner. Le système “tient”, mais il tient à crédit.
Et le jour où la pression devient trop forte, ce crédit est consommé d’un coup.
Donc ce n’est pas ce jour-là qu’il faut analyser en priorité, c’est tout ce qui se passait avant, quand tout allait bien et que personne ne voyait de problème, quand on baignait dans l’illusion de maîtrise…
2 - Sous pression, le système ne cherche pas à être bon… il cherche à survivre
A. Quand la pression monte, les règles changent sans qu’on s’en rende compte
Il n’y a pas de réunion pour ça, ni de décision formelle, et encore moins de consigne écrite.
Et pourtant, les règles changent !
Ce qui était prioritaire hier devient secondaire aujourd’hui, et ce qui était “non négociable” devient “on verra plus tard”.
C’est juste automatique : les équipes s’adaptent et les managers arbitrent dans l’instant.
Bref, chacun fait ce qu’il peut avec ce qu’il a, et souvent, vu de l’extérieur, ça donne l’illusion que “ça tient encore”.
Sauf qu’en réalité, ça tient au prix de contorsions permanentes.
B. Ce n’est pas un manque de rigueur, c’est un réflexe humain
Dans ces moments-là, beaucoup se trompent de diagnostic : ils parlent de relâchement ou de manque d’exigence.
Mais ce qui est à l’œuvre est bien plus simple… Quand la pression augmente, le cerveau humain cherche à :
réduire l’effort immédiat
sécuriser le résultat à court terme
éviter la surcharge supplémentaire
Autrement dit, faire au plus vite devient plus fort que faire au plus juste.
C’est une sorte de réflexe de survie.
Et tant qu’on ne l’accepte pas, on continue à demander aux équipes de faire abstraction de leur propre fonctionnement… ce qui, sur la durée, ne tient jamais.
C. L’urgence n’est pas une exception, c’est un révélateur
On parle souvent de l’urgence comme d’un événement à part, un accident de parcours.
Sauf que l’urgence agit plutôt comme un révélateur chimique. Elle fait apparaître ce qui était déjà là, mais invisible.
Je parle ici des zones de flou, des surcharges latentes, des dépendances mal gérées, des arbitrages reportés, des compensations humaines silencieuses…
Quand tout va bien, ces fragilités passent sous le radar, et quand la pression monte, elles deviennent impossibles à masquer.
Et c’est précisément pour ça que “le jour où ça déraille” n’est jamais le vrai problème. Il marque simplement le moment où le système ne peut plus cacher ses déséquilibres.
Tu me suis ?
3 - Le piège managérial : croire qu’il faut tenir plus fort
A. Plus on serre le cadre, plus il craque
Quand les standards commencent à ne plus tenir, le réflexe managérial est presque toujours le même : on se dit qu’il faut reprendre la main, resserrer le cadre.
On pense qu’en rappelant les règles, en étant plus présent, plus ferme, plus exigeant, ça va le faire. Et c’est logique, parce que sur le moment ça donne l’impression de faire son job.
Le problème, c’est que ce réflexe s’attaque au mauvais niveau.
Je t’explique : plus on serre le cadre dans un système déjà sous tension, plus on crée de la pression là où il n’y a plus de marge.
Et un système sans marge ne devient pas plus robuste quand on le contraint davantage.
Il devient simplement plus fragile.
B. Rappeler les règles ne stabilise pas un système instable
👉 Et BAM : c’est là que les contournements apparaissent.
Pas par défi ou par mauvaise intention, mais parce que les équipes cherchent à faire tenir l’activité malgré tout. Alors elles bricolent, elles priorisent différemment.
Et plus le cadre est rigide, plus ces ajustements se font dans l’ombre.
À ce stade, rappeler les règles rassure surtout… celui qui les rappelle.
Ça donne le sentiment que le problème est traité, que “le message est passé”.
Mais sur le terrain, ça ne stabilise rien !
Parce qu’un système instable ne se stabilise pas par injonction… Il se stabilise par conception.
Tant que les causes structurelles ne sont pas adressées (surcharge, variabilité, priorités floues, dépendance excessive à des personnes clés…) la pression continue de monter.
C. Quand le standard devient une source de tension
Plus la pression monte, plus les standards deviennent une source de tension supplémentaire.
D’ailleurs c’est souvent à ce moment-là que le standard change de statut : au départ, il était censé sécuriser et simplifier le travail. Mais sous pression, il devient un rappel constant de ce qu’on n’arrive plus à faire correctement.
Du coup le manager, compense. Il arbitre à la place du système, absorbe les écarts, fait tampon et court partout. Bref, il tient.
Et paradoxalement, plus il tient, plus l’organisation s’appuie sur cette capacité à tenir. Jusqu’au jour où ça ne tient plus.
C’est là tout le piège.
On croit piloter la performance, alors qu’on pilote surtout l’endurance humaine.
En fait on confond solidité et résistance.
Et tant que cette confusion n’est pas levée, on peut renforcer le cadre autant qu’on veut : le problème ne disparaît pas, il se déplace, fatigue les équipes… et use les managers.
La question n’est donc pas de savoir comment “tenir plus fort”, mais de comprendre pourquoi il faut tenir autant. Et c’est exactement là que tout change.
4 - Là où les standards tiennent, ce n’est pas une question de volonté
A. Ce que les organisations robustes ont compris (et les autres pas encore)
Dans les organisations où les standards tiennent réellement dans la durée, il ne se passe rien de spectaculaire. Ni managers héroïques, ni équipes qui se surpassent en permanence.
Il y a autre chose de plus discret, et surtout plus structurant.
Ces organisations ont compris que la performance ne repose pas sur la capacité des individus à encaisser, mais sur la capacité du système à absorber les variations normales de la vie opérationnelle.
Elles ont accepté une vérité simple, et inconfortable : un environnement sans marge est un environnement instable (même s’il a l’air de bien fonctionner quand tout va bien).
Alors elles travaillent autrement :
elles cherchent à rendre les flux lisibles
à clarifier ce qui est prioritaire… et ce qui ne l’est pas
à réduire les irritants chroniques qui consomment de l’énergie sans créer de valeur
à ne pas dépendre en permanence des mêmes personnes pour que “ça tienne”
Bref, elles conçoivent un système qui n’a pas besoin d’être sauvé tous les matins.
B. Le standard comme point d’appui, pas comme épreuve
Dans ces contextes-là, le standard change complètement de rôle.
Il n’est plus une règle à faire respecter coûte que coûte, et encore moins un rappel culpabilisant de ce qu’il faudrait faire “si tout allait bien”.
Il devient un repère, un point d’appui, quelque chose qui sécurise le travail au lieu de le compliquer.
Parce que le système autour de lui est suffisamment robuste pour lui laisser de la place.
Quand une difficulté survient, on ne demande pas au standard de “tenir malgré tout”.
On s’interroge sur ce qui, dans l’organisation, a rendu son application difficile. Le standard n’est plus jugé, il est utilisé comme un révélateur intelligent.
Et c’est précisément pour ça qu’il tient.
C. La seule question qui change vraiment la performance
À ce stade, la question n’est plus “ Comment faire pour que les équipes respectent mieux les standards ? ”.
La question devient : “ pourquoi notre organisation crée-t-elle autant d’urgence ? ”
C’est une question exigeante, parce qu’elle oblige à regarder le système, pas les individus.
En fait, elle déplace la responsabilité là où elle est la plus utile.
Mais c’est aussi une question libératrice, car à partir du moment où on cesse de demander aux managers et aux équipes de “tenir”, on peut enfin travailler sur ce qui rend la performance durable.
Et là, les standards arrêtent de s’effriter à la première urgence.
Parce que le système tient debout, enfin !
La performance durable ne se construit pas en demandant aux personnes de tenir plus fort, mais en concevant des systèmes qui tiennent quand la pression monte.
Et c’est précisément pour ça que la performance opérationnelle commence presque toujours par éliminer des irritants… bien plus que par ajouter des indicateurs.
C’est ce qu’on analyse dans le prochain article 😉.
Si cette lecture résonne pour toi, c’est probablement que ton organisation ne manque pas de méthodes… et qu’elle a simplement besoin de reprendre de la robustesse là où elle compense encore trop.
C’est exactement sur ces sujets que j’interviens auprès des entreprises : en travaillant le système, les modes de pilotage et les dynamiques managériales, pour que la performance ne repose plus uniquement sur l’endurance humaine.